Eléonore Pierrard

Diplômée en Design textile et matière (2022)

eleonore.pierrard@gmail.com

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Objets liminaux : une anti-thérapie décorative (2022)

Le Destin est la Maison sans Porte — On y entre par le Soleil —
Et puis on jette l’Échelle,
Car c’en est fini — de l’Évasion —

Emily Dickinson, Poème 710, 1863

Ceci est une reproduction parcellaire des innombrables objets liminaux qui peuplent nos mondes. Un objet liminal est une entité matérielle poreuse dont les significations traversent les usages et les époques. Mes objets liminaux sont fabriqués de toutes pièces pour renforcer leur teneur en liminalité.
Nous côtoyons tou.te.s des objets liminaux au quotidien : ici une chaise abandonnée sur le trottoir qui n’attend que le service des encombrants ou bien l’arrivée de son ou sa prochain.e propriétaire, là un téléphone Garfield échoué sur la plage.
C’est un souvenir, mais pas seulement. C’est une projection, mais pas seulement. Mais un objet liminal nous dit nécessairement quelque chose de l’époque que nous traversons, de même que l’époque que nous traversons nous dit quelque chose de nos objets liminaux.

La Tenture des Passages, tapisserie jacquard en laine et coton
Paroi volcanique, papier peint sur-imprimé en pâte gonflante

Inspiré par les angoisses que sucitait chez moi le papier peint floral de ma grand-mère, Objets liminaux traite du paradoxe contemporain d’une société ou la santé mentale n’a jamais été autant discutée, mais où dépression et anxiété sont des maux de plus en plus communs. Ce projet incarne par la décoration intérieure ce mal-être contemporain avec humour et en tirant parti d’une esthétique très chargée, réminescente des espaces étouffants imaginés par les femmes surréalistes (de Dorothea Tanning à Meret Oppenheim). Objets liminaux est un projet manifeste qui lie scénographie, décor et décoration, à la technicité graphique qu’offre le textile, particulièrement la maille. Mes objets textiles sont les acteurs d’une salle à manger imaginée, redoutée, rêvée, celle d’un souvenir comme du fond vert de notre imaginaire collectif.

L’idée que l’intérieur dans lequel nous vivons est censé nous ressembler n’est pas nouvelle. Dans Système des Objets, Baudrillard parle de l’aura personnifiée dont sont traditionnellement investis les objets dans les cultures occidentales. Il parle spécifiquiment de la personnification des relations humaines qui se jouent dans l’espace privé. Les intérieurs bourgeois de la fin du XIXème siècle se devaient d’être ornés à l’extrême et de tirer parti de la moindre surface. Un certain éclectisme faisait état de la personnalité du ou de la décorateur.ice (généralement la). Les débuts de la psychanalyse et de la psychologie reposaient sur cette délimitation nette et précise du domestique et du public nécessitant un espace clos, calme et sombre pour que le travail d’introspection puisse avoir lieu.


En matière de décoration intérieure, il semble que les confrontations qui se jouent aujourd’hui entre les extrêmes que sont le maximalisme et le minimalisme ne sont que les deux faces d’une même pièce. L’espace domestique est investi d’un énorme pouvoir quant aux styles de vie que nous menons. Du haul ikea à la méthode Marie Kondo, les remous accélérés du XXIème siècle transparaissent : le minimalisme parle d’une commodification du dépouillement (et il est bon de se rappeler que précarité et dépouillement dans le décor ne vont pas nécessairement main dans la main, de même quant à l’ aisance financière et opulence) et le maximalisme instagrammable d’un miroir à fourrure ou d’une chaise DIY en mousse expansive commodifient la décadence d’un monde qui se délite et qui ne semble n’avoir plus rien à offrir d’autre qu’un bouquet final esthétisant et hédoniste.

Diagnostic ésotérique, impression sur coton, et Nerfs, gants en mohair tricotés à la main
Le DSM de la couleur