Lou Ramage

Diplomée en : Design textile & matière, 2020

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@lou.ramage

Lou Ramage est designer-chercheuse textile basée à Paris. Diplomée de l’École des Arts Décoratifs en 2020, elle présente son projet Persistance, l’allongement de la durée d’usage par le développement de textiles aux états de surface évolutifs lors de la Paris Design Week à la galerie Joseph en septembre 2020 et durant l’exposition The Lost Graduation Show au Salon du mobilier à Milan en 2021. Elle poursuit aujourd’hui sa pratique à travers un projet de recherche soutenu par la Manufacture des Soieries Jean Roze, à Tours, au sein du groupe Soft Matters intégré à l’EnsadLab.

Fauteuil, tapis de fils de de laine teints par colorants naturels sur toile de coton, photographies de Mathilde Hiley, set design Pierre Vaillant, None Atelier, 2022

Le constat d’un monde aujourd’hui caractérisé par la vitesse, l’impermanence et le renouvellement constant des éléments qui le façonnent, constitue le point de départ de ma démarche plastique. 

Autrefois issus d’ingrédients naturels et communs, les choses conçues actuellement se présentent le plus souvent par des surfaces brillantes et uniformes qui appellent à un « plaisir de l’apparence intacte » et dont le cycle de vie se retrouve sans cesse accéléré. Les nouveaux matériaux, même les plus robustes, « semblent ainsi incapables de sortir d’une existence duelle où, de l’état de comme neuf, ils passent brusquement à celui d’objets bons à jeter » (Artéfacts, vers une écologie de l’environnement artificiel, Ezio MANZINI, Les Essais, Éditions du Centre Pompidou, 1991). Des enveloppes inusables que la culture matérielle était capable de confectionner quelques siècles auparavant, l’industrie créé aujourd’hui des choses qui ne peuvent s’inscrire dans la durée et agir comme des supports du souvenir. Comment concevoir alors des artéfacts durables, sachant vieillir sans la crainte d’une expiration brutale, d’une détérioration soudaine ?

Canapé, Abat-jour, cyanotypes, None Atelier, 2022

Pour ce faire, et afin de renouer avec les qualités inhérentes des matériaux, la culture industrielle doit développer une aptitude à penser les objets dans un cycle complet – de la naissance à la mort de la matière, en considérant les différentes étapes de sa vie. Ainsi, dans l’hypothèse que les matières qui nous entourent peuvent affirmer leur présence jour après jour, à la manière d’une plante qui croît lentement, je tente de comprendre et de programmer au préalable les conséquences d’un usage dans le temps afin de concevoir des textiles qui, par leurs lentes usures, puissent indiquer l’écoulement du temps.

En interrogeant principalement la décoloration des couleurs due à l’exposition prolongée à la lumière du soleil et l’usure des surfaces due aux frottements répétés au fil du temps d’usage, la dégradation de surface est abordée comme point de départ dans la conception de matières textiles. En envisageant cette dernière comme une phase d’évolution dans la vie d’un objet plutôt que comme un moment fatidique déterminant son expiration, il devient possible alors d’allonger sa durée d’usage, de le transformer lentement en une référence temporelle au sein de nos environnements intimes et quotidiens.

Recherches teinture et impression par colorants naturels sur laine, Beryl Libault, Ensad, 2020

Pour autant, on peut s’attacher à regarder les dégradations de surface comme des expressions alternatives, propices à ouvrir des interprétations plus larges de ce qui constitue un textile ou un produit fini. Ainsi, ces derniers proposeraient des images, formes et couleurs pouvant apparaitre ou disparaitre au fil du temps, à la manière de dispositifs changeants, capables de se jouer des éléments inhérents au contexte dans lequel ils s’introduisent

Instables par nature, ces textiles questionnent nos rapports aux matières et objets qui nous entourent, en même temps qu’ils interrogent les certifications et normalisations textiles qui encadrent la production industrielle actuelle. 

De fait, ces tissus, amenés à évoluer peu à peu, veulent rendre compte de l’aspect intrinsèque du temps : comme lui, ils ne tendront à aucune forme d’uniformité ou de réversibilité. Ils tentent plutôt de raconter un processus de transformation naturelle, de laisser apparaitre le caractère transitoire de toutes choses. En travaillant le temps et ses effets, mon travail se porte sur la recherche de l’esthétique dans la transition, dans ce que l’on nomme usure. Ainsi, les pièces nées de cette recherche tentent d’échapper à l’éphémérité en s’ancrant à la fois entre passé et présent, immobilité et mouvement, disparition et résistance.

Mais sans ambitionner le retour aux « objets éternels » du monde solide et durable d’où est issue notre culture matérielle, ces matières persistantes veulent accompagner la production de produits capables de durer et de vieillir, de faire de l’instabilité et du changement une valeur patiemment acquise.

Rideaux, toiles de lin pulvérisées par colorants naturels, photographies Florian Saint Aimé, set design Pierre Vaillant, Plouha, 2020